Fugace aperçu en arrivant le soir à Vendôme : un
castel déchiqueté sur le flanc du coteau, parmi les arbres. Il domine un
amoncellement de toits d’où percent deux ou trois flèches.
Le sommeil me surprit
très tôt, dès la nuit tombée. Debout le lendemain à la première heure, je me
mis en route le long du Loir dans la lumière matinale. Ce Loir miroitant, dont
la présence tout à côté donnait vigueur à mon pas, je l’avais découvert, ou
plutôt rencontré, l’été précédent en visitant Châteaudun. La rencontre laissa
des traces : un an durant, l’aura protectrice de la rivière demeura à mon
esprit, la mélancolie s’y accrochant avec son lot d’espoir informulable. Le
Jourdain de Proust et de Ronsard, le clair-obscur revigorant, la chansonnette
intérieure qui ramène la volupté au cœur même de l’aridité ; tel il devint
pour moi.
Courant du Perche
rustaud à l’indolent Anjou, sa vallée dessine une de ces plissures intimes de
la France qu’un regard sur la carte oublie de remarquer. Grand ombrage lui est
porté par la Loire sa voisine, berceau des rois, nourricière de vins recherchés,
patrie d’esthètes et de massacreurs. La sœurette est plus rassurante et plus
gaie, quand la langueur apparente de l’aînée dissimule un tempérament de furie.
Les sœurs au visage clair se ressemblent toutefois en un point : sur leurs
bords, le moindre soupir veut devenir chanson.
Je pénétrai dans le
centre ancien par les quais ornés de fleurs menant au chevet de l’abbatiale. Le
soleil en réchauffait les contreforts, et les pinacles piquaient malicieusement
le bleu du ciel. Je m’arrêtai bientôt devant la célèbre façade flamboyante. C’est
en effet un flamboiement de mouchettes et de pinacles, un mur vivant ondulant
de la terre vers le ciel. Je ne pus toutefois, face à ce chef-d’œuvre, me
retenir de songer que l’intelligence théologique s’y voit affaiblie au profit
du délice sensuel. La présence à quelques pas d’un clocher roman, sorte de
patriarche architectural unissant sobre autorité et vibration profonde, ne fit
que confirmer cette pensée.
La base carrée – carré
de la matière et du manifesté – de ce clocher, solidement appuyée sur d’épais
contreforts et soulevée de toute la force de sa pierre, s’y transmue au troisième
étage en un tambour octogonal que percent de hautes baies, pour achever son
ascension et sa transfiguration sous l’aspect d’une flèche jaillissant vers
Dieu comme en triomphant de son propre poids. La voici donc à même de recevoir
sans frémir les caresses du vent tout autant que les bourrasques, tant ses
reins sont robustes et son élévation inaltérable.
Auprès de cette
manifestation du génie roman la façade flamboyante, érigée à l’aube du seizième
siècle par Jean de Beauce, semble la fantaisie biscornue d’un frêle
adolescent, le fruit de premiers feux mal maîtrisés. La puissante épiphanie, la
sagesse illuminatrice des grandes cathédrales gothiques paraît tout aussi
lointaine.
Notons que sur la
place, à l’ombre de ces joyaux chrétiens, la guillotine frappa en 1797 Gracchus Babeuf et les comparses de la
Conjuration des Égaux.
J’entrai dans l’église
en franchissant une porte sur le bois de laquelle je crus reconnaître le comte
Geoffroy Martel, joliment stylisé à la façon du treizième siècle.
L’histoire dit en
effet que le comte et sa femme furent témoins, par une claire nuit estivale, de
la chute de trois étoiles filantes dans les bras du Loir. Décision fut prise de
fonder sur le lieu une abbaye à la Sainte Trinité. Remis à la charge des bénédictins,
l’établissement devint l’un des plus puissants du royaume de France.
La nef où je m’introduisis
forme un espace tout de verticalité et de lumière. L’âme y trouve l’apaisement
dans la blancheur du tuffeau et la perfection de ces lignes tout à la fois évaporées
et rigoureuses.
Le carillon municipal
accompagne le tintement des heures du jour depuis la tour Saint-Martin, ancien
clocher d’une église dont elle est demeurée l’unique vestige. On y a transporté
le carillon anciennement logé dans le beffroi de la Trinité. La place
Saint-Martin, cœur de Vendôme, fait ainsi résonner à heures régulières la
vieille complainte populaire, héritée d’une chanson satirique de la guerre de
Cent Ans. Le parti bourguignon y moquait celui qu’on appelait le « roi de
Bourges », le dauphin Charles, déshérité et rejeté hors de Paris, replié
sur la Loire dans ses derniers bastions.
Mes amis que reste-t-il
À ce dauphin si gentil
De son royaume ?
Orléans, Beaugency
Notre-Dame de Cléry
Vendôme, Vendôme
C’était bien sûr avant l’apparition de Jeanne, la victoire d’Orléans
et le sacre de Charles à Reims.
Enjambant le Loir par
la porte Saint-Georges, j’escaladai la longue rampe gardée de murs qui grimpe
sur le coteau boisé. Du château fort des comtes, de la princière demeure élevée
par César de Vendôme ne subsistent que ruines, et un inégalable point de vue
sur la vallée. Sur le versant d’en face ondulent les vignes. Dans le vent qui
fouette les terrasses pierreuses, je songeai à mon cher Châteaudun un peu plus
haut sur le cours du Loir. C’est depuis Châteaudun qu’au mois de novembre 1589,
le bon roi Henri somma Vendôme de se rendre, avant de forcer la muraille à
coups de canon et d’y faire un massacre (selon une tradition locale aujourd’hui
contestée). La ville, farouchement anti-huguenote, avait donné du fil à
retordre au camp royal ; elle se tint calme après ce coup.
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