jeudi 13 août 2015

Vendôme, Vendôme

 
     Fugace aperçu en arrivant le soir à Vendôme : un castel déchiqueté sur le flanc du coteau, parmi les arbres. Il domine un amoncellement de toits d’où percent deux ou trois flèches.

     Le sommeil me surprit très tôt, dès la nuit tombée. Debout le lendemain à la première heure, je me mis en route le long du Loir dans la lumière matinale. Ce Loir miroitant, dont la présence tout à côté donnait vigueur à mon pas, je l’avais découvert, ou plutôt rencontré, l’été précédent en visitant Châteaudun. La rencontre laissa des traces : un an durant, l’aura protectrice de la rivière demeura à mon esprit, la mélancolie s’y accrochant avec son lot d’espoir informulable. Le Jourdain de Proust et de Ronsard, le clair-obscur revigorant, la chansonnette intérieure qui ramène la volupté au cœur même de l’aridité ; tel il devint pour moi.
     Courant du Perche rustaud à l’indolent Anjou, sa vallée dessine une de ces plissures intimes de la France qu’un regard sur la carte oublie de remarquer. Grand ombrage lui est porté par la Loire sa voisine, berceau des rois, nourricière de vins recherchés, patrie d’esthètes et de massacreurs. La sœurette est plus rassurante et plus gaie, quand la langueur apparente de l’aînée dissimule un tempérament de furie. Les sœurs au visage clair se ressemblent toutefois en un point : sur leurs bords, le moindre soupir veut devenir chanson.
    
     Je pénétrai dans le centre ancien par les quais ornés de fleurs menant au chevet de l’abbatiale. Le soleil en réchauffait les contreforts, et les pinacles piquaient malicieusement le bleu du ciel. Je m’arrêtai bientôt devant la célèbre façade flamboyante. C’est en effet un flamboiement de mouchettes et de pinacles, un mur vivant ondulant de la terre vers le ciel. Je ne pus toutefois, face à ce chef-d’œuvre, me retenir de songer que l’intelligence théologique s’y voit affaiblie au profit du délice sensuel. La présence à quelques pas d’un clocher roman, sorte de patriarche architectural unissant sobre autorité et vibration profonde, ne fit que confirmer cette pensée.
     La base carrée – carré de la matière et du manifesté – de ce clocher, solidement appuyée sur d’épais contreforts et soulevée de toute la force de sa pierre, s’y transmue au troisième étage en un tambour octogonal que percent de hautes baies, pour achever son ascension et sa transfiguration sous l’aspect d’une flèche jaillissant vers Dieu comme en triomphant de son propre poids. La voici donc à même de recevoir sans frémir les caresses du vent tout autant que les bourrasques, tant ses reins sont robustes et son élévation inaltérable.
     Auprès de cette manifestation du génie roman la façade flamboyante, érigée à l’aube du seizième siècle par Jean de Beauce, semble la fantaisie biscornue d’un frêle adolescent, le fruit de premiers feux mal maîtrisés. La puissante épiphanie, la sagesse illuminatrice des grandes cathédrales gothiques paraît tout aussi lointaine.
    
     Notons que sur la place, à l’ombre de ces joyaux chrétiens, la guillotine frappa en 1797  Gracchus Babeuf et les comparses de la Conjuration des Égaux.
     J’entrai dans l’église en franchissant une porte sur le bois de laquelle je crus reconnaître le comte Geoffroy Martel, joliment stylisé à la façon du treizième siècle.
     L’histoire dit en effet que le comte et sa femme furent témoins, par une claire nuit estivale, de la chute de trois étoiles filantes dans les bras du Loir. Décision fut prise de fonder sur le lieu une abbaye à la Sainte Trinité. Remis à la charge des bénédictins, l’établissement devint l’un des plus puissants du royaume de France.
     La nef où je m’introduisis forme un espace tout de verticalité et de lumière. L’âme y trouve l’apaisement dans la blancheur du tuffeau et la perfection de ces lignes tout à la fois évaporées et rigoureuses.
     Le carillon municipal accompagne le tintement des heures du jour depuis la tour Saint-Martin, ancien clocher d’une église dont elle est demeurée l’unique vestige. On y a transporté le carillon anciennement logé dans le beffroi de la Trinité. La place Saint-Martin, cœur de Vendôme, fait ainsi résonner à heures régulières la vieille complainte populaire, héritée d’une chanson satirique de la guerre de Cent Ans. Le parti bourguignon y moquait celui qu’on appelait le « roi de Bourges », le dauphin Charles, déshérité et rejeté hors de Paris, replié sur la Loire dans ses derniers bastions.

  
Mes amis que reste-t-il
                                                    À ce dauphin si gentil
                                                    De son royaume ?

                                                    Orléans, Beaugency
                                                    Notre-Dame de Cléry
                                                    Vendôme, Vendôme


     C’était bien sûr avant l’apparition de Jeanne, la victoire d’Orléans et le sacre de Charles à Reims.

   Enjambant le Loir par la porte Saint-Georges, j’escaladai la longue rampe gardée de murs qui grimpe sur le coteau boisé. Du château fort des comtes, de la princière demeure élevée par César de Vendôme ne subsistent que ruines, et un inégalable point de vue sur la vallée. Sur le versant d’en face ondulent les vignes. Dans le vent qui fouette les terrasses pierreuses, je songeai à mon cher Châteaudun un peu plus haut sur le cours du Loir. C’est depuis Châteaudun qu’au mois de novembre 1589, le bon roi Henri somma Vendôme de se rendre, avant de forcer la muraille à coups de canon et d’y faire un massacre (selon une tradition locale aujourd’hui contestée). La ville, farouchement anti-huguenote, avait donné du fil à retordre au camp royal ; elle se tint calme après ce coup.


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